QUI ACHÈTERA NOS HISTOIRES, SI NOUS NE NOUS ACHETONS PAS NOUS-MÊMES ?

Bandes dessinées africaines, webcomics et avenir du divertissement

Introduction : une crise silencieuse que nous nommons rarement

À l’approche de la fin de l’année, il est important de faire une pause — non pas pour célébrer des chiffres ou des performances — mais pour réfléchir à quelque chose de bien plus fragile : la survie des bandes dessinées africaines, des webcomics africains et du divertissement créatif africain, et par extension, de notre confiance collective.

Il existe une crise silencieuse qui touche presque tous les produits africains, qu’il s’agisse de comics, webcomics, cinéma, musique, mode, technologie ou divertissement numérique. Ce n’est pas seulement une question de qualité, de financement ou de distribution. C’est avant tout une crise de perception — profonde, héritée, et dangereusement normalisée.

Cette crise dépasse largement le secteur de la bande dessinée. Elle concerne la manière dont l’Afrique se perçoit à travers ce qu’elle produit.

Un moment inconfortable au Festival Bilili BD : bandes dessinées africaines face au divertissement mondial

En décembre 2025, lors du Festival Bilili BD, un événement devenu emblématique de la scène africaine de la bande dessinée, une scène révélatrice s’est déroulée.

Dans l’espace d’exposition numérique, les visiteurs pouvaient librement découvrir des bandes dessinées africaines et des webcomics africains proposés par des plateformes comme Zebra Comics, Plumics et Gara Store. Pour certains, ce fut une véritable découverte. Pour d’autres, une agréable surprise.

Mais une majorité fit autre chose.

Ils sont entrés, ont feuilleté brièvement les comics africains, puis ont fermé l’application pour ouvrir YouTube et regarder gratuitement des animés japonais.

Cela se passait dans un festival africain de comics, en plein cœur de l’Afrique.

Sans protestation. Sans malaise. Simplement par habitude.

Ce moment a mis en lumière une réalité douloureuse : les comics africains sont encore perçus comme une curiosité facultative, tandis que le divertissement étranger est considéré comme la norme culturelle — même sur le sol africain.

Quand la fierté se transforme en insécurité

Plus tard lors du festival, un concours de cosplay rassemblait des participants venus de plusieurs pays africains. Le niveau était élevé. L’énergie était palpable. Le jury a tranché.

Mais lorsque les gagnants ont été annoncés — et qu’ils ne venaient pas du pays hôte — la foule a hué.

Ce qui aurait dû être une célébration panafricaine de la créativité est devenu une démonstration d’insécurité collective. Ce n’était pas une question de cosplay. C’était une question d’identité fragilisée.

Le divertissement africain ne peut pas se développer si nous ne soutenons que ce qui nous flatte localement, au lieu de ce qui élève l’écosystème dans son ensemble.

Pourquoi de nombreux créateurs africains de comics regardent d’abord ailleurs

À travers le continent, beaucoup de créateurs africains de bandes dessinées et de webcomics choisissent en priorité des plateformes étrangères plutôt que des plateformes africaines émergentes.

Ce choix est compréhensible. Les créateurs vont là où les systèmes fonctionnent, où le public paie, où la reconnaissance semble plus accessible.

Mais cette tendance révèle une vérité inquiétante : même les Africains doutent encore de la capacité des plateformes africaines de comics à réussir.

Aucun écosystème de bandes dessinées ou de webcomics ne peut survivre si ses propres créateurs l’abandonnent avant sa maturité.

À l’origine du problème : une crise identitaire profonde

Cette crise ne date pas d’hier.

L’esclavage a arraché aux Africains leur capacité à se définir eux-mêmes. La colonisation a redéfini les standards de valeur. Le néocolonialisme a entretenu la dépendance économique et culturelle. La pauvreté chronique a renforcé une logique de survie au détriment de l’investissement à long terme.

Sur plusieurs générations, nous avons appris — consciemment ou non — que la valeur venait d’ailleurs.

Résultat :

– Les comics africains sont jugés plus sévèrement

– Les webcomics africains bénéficient de moins de patience

– Le divertissement étranger est perçu comme supérieur par défaut

Ce n’est pas de la concurrence. C’est un déséquilibre psychologique.

Gouvernements, marchés et terrain de jeu inégal

Aujourd’hui, les bandes dessinées africaines et les webcomics africains sont en concurrence directe avec :

– Hollywood

– L’industrie japonaise du manga et de l’animé

– Les grandes plateformes mondiales de divertissement

Ces industries bénéficient de décennies de soutien étatique, de politiques d’exportation culturelle et de capitaux massifs.

À l’inverse, les industries créatives africaines avancent sans protection.

La culture est encore trop souvent considérée comme un simple divertissement, et non comme une infrastructure stratégique, alors même que les récits façonnent l’imaginaire bien avant la politique ou l’économie.

Soft power : la guerre invisible que l’Afrique est en train de perdre

Les comics, les webcomics, le cinéma et l’animation ne sont pas de simples loisirs. Ce sont des outils de soft power.

Hollywood exporte les valeurs américaines.
Les animés exportent l’esthétique et la philosophie japonaises.
Les dramas coréens exportent l’identité et l’aspiration sud-coréennes.

L’Afrique, elle, reste largement absente de l’imaginaire mondial — ou présente uniquement à travers des récits de pauvreté, de conflits ou d’assistanat.

Lorsqu’un continent ne soutient pas ses propres récits, il perd le contrôle de la manière dont il est perçu.

Soutenir les comics africains localement est une condition essentielle pour exister globalement.

Le coût géopolitique de la dépendance culturelle

La domination culturelle finit toujours par devenir une domination économique et politique.

Les pays qui dominent le divertissement mondial influencent le tourisme, l’investissement, la sympathie diplomatique et la manière dont les crises sont perçues.

Si l’Afrique reste avant tout consommatrice des histoires des autres, elle restera un personnage secondaire sur la scène mondiale.

Soutenir les bandes dessinées africaines n’est donc pas un choix culturel uniquement. C’est un choix géopolitique.

Les nations qui ne racontent pas leurs propres histoires finissent par être racontées par d’autres.

La culture comme défense stratégique, pas comme luxe

Beaucoup de gouvernements africains considèrent encore les comics et le divertissement comme des secteurs secondaires.

L’histoire prouve le contraire.

La culture est souvent le premier vecteur d’influence et le dernier rempart identitaire. Les pays qui ont investi tôt dans leurs industries culturelles dominent aujourd’hui le divertissement mondial.

Ne pas soutenir les comics africains aujourd’hui, c’est abandonner la bataille narrative de demain.

Comment le divertissement étranger est devenu notre référence par défaut

La génération Z et les millennials ont grandi avec Looney Tunes, Disney, les animés japonais et les blockbusters hollywoodiens.

Les bandes dessinées africaines étaient absentes des écosystèmes de divertissement de l’enfance.

On ne peut pas valoriser ce que l’on n’a jamais appris à considérer comme normal.

Que faire pour sauver les bandes dessinées et webcomics africains ?

1. Les plateformes africaines de comics doivent viser l’excellence

La qualité est indispensable. Les comics africains doivent atteindre des standards internationaux tout en restant culturellement authentiques.

2. Les gouvernements doivent protéger les écosystèmes créatifs

À travers des politiques publiques, des quotas, des incitations fiscales, l’éducation et des circuits de distribution locaux.

3. Les Africains doivent soutenir concrètement leurs contenus

Lire, payer, partager, recommander des bandes dessinées africaines — pas seulement les applaudir.

Ceci n’est pas un rejet du monde

Nous aimons le cinéma américain. Nous admirons les animés japonais. Nous respectons la créativité mondiale.

Mais sans soutien, le divertissement africain disparaîtra — non par la force, mais par l’indifférence.

Réflexion finale : un choix collectif

Si les Africains ne lisent pas les comics africains, ne soutiennent pas les webcomics africains et n’investissent pas dans leurs plateformes de divertissement, qui le fera ?

Si nous ne nous achetons pas nous-mêmes, d’autres nous définiront — ou nous effaceront.

L’Afrique a du talent.

La vraie question est de savoir si l’Afrique choisira de survivre.

FOIRE AUX QUESTIONS (FAQ)

Ce texte appelle-t-il au rejet des contenus étrangers ?

Non. Il appelle à l’équilibre. L’échange culturel est sain, l’effacement culturel ne l’est pas.

Les comics africains sont-ils prêts pour la scène mondiale ?

Certains oui, d’autres sont en construction. Les écosystèmes se bâtissent avec du temps et du soutien.

Pourquoi soutenir des plateformes africaines si les étrangères sont moins chères ?

Parce qu’aucune plateforme ne peut grandir sans utilisateurs. Soutenir localement, c’est garantir la souveraineté culturelle.

La qualité n’est-elle pas le vrai problème ?

La qualité compte, mais les biais de perception jouent un rôle majeur. Les œuvres africaines sont souvent jugées plus durement.

Les créateurs doivent-ils se sacrifier ?

Non. La responsabilité est collective : créateurs, plateformes, États, investisseurs et publics.

Que peuvent faire les individus ?

Lire, payer, partager, recommander, assister aux événements locaux et résister au réflexe de dévalorisation.

Que se passe-t-il si rien ne change ?

L’Afrique risque l’invisibilité culturelle dans un monde où le récit est synonyme de pouvoir.

Quelle est la première étape ?

La croyance — traduite en actes.

Article Redigé par Franklin Agogho

3 réflexions sur “QUI ACHÈTERA NOS HISTOIRES, SI NOUS NE NOUS ACHETONS PAS NOUS-MÊMES ?”

Leave a Reply to tip4d Annuler la réponse

Your email address will not be published. Required fields are marked *

review resume writing services
Retour en haut